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Jean Zay, sa vie

Ses jeunes années:

Le cercle familial:

Jean Zay naît le 6 août 1904, à Orléans. Léon Zay, son père, juif laïc, dirige le quotidien radical socialiste local, "Le Progrès du Loiret". Sa mère, Alice Chartrain, beauceronne et protestante, est institutrice.

Etat civil de Jean Zay ville d'Orléans
Alice Chartrain, mère de Jean Zay, jeune, née le 3 juin 1873

Alice Chartrain, mère de Jean Zay,
née le 3 juin 1873

ETAT CIVIL

 

Naissance de Zay, Jean Elie Paul n°743
L'an mil neuf centre quatre,
le six août à neuf heures vingt-cinq minutes du soir
est né à Orléans (Loiret), rue du Parc, n°19
un enfant de sexe masculin, qui a reçu
les prénoms de Jean Elie Paul
fils de Léon Zay, rédacteur au "Progrès du Loiret", Secrétaire Greffier du conseil des Prud'hommes et de Alice Lucie Chartrain, domiciliée à Orléans, rue Jean-Hupeau n°4

Les fous de république:

Sa famille paternelle, des Juifs lorrains, de ces fortes et anciennes communautés de l'Est, est enracinée dans la République. En effet, les Juifs de France assument dès l’origine le projet émancipateur de la Révolution. En 1871, Elias Zay, son grand-père, choisit la France et Orléans, quand la Moselle est perdue.

Les Chartrain, sa famille maternelle, parvenue tard à l'aisance, descendent d'une part d'agriculteurs beaucerons et protestants ; d'autre part des Maingourd, vignerons protestants de Mer et d'Aulnay.

Leurs ancêtres communs, héros du Désert, ont résisté à l'autorité royale au lendemain de la révocation de l'Edit de Nantes (1685). Les réformés, en s'insérant dans les luttes pour la liberté, affirment leur rôle d'avant-garde de la France républicaine.

En août 1908, à l'Ermitage, 29 rue du Parc, à Orléans

En août 1908, à l'Ermitage, 29 rue du Parc, à Orléans.

Jean Zay avec sa soeur Jacqueline, ils resteront très liés. Sa soeur deviendra sculpteur et il inaugurera son exposition à New York en juin 1939

Jean Zay avec sa soeur Jacqueline, dont il restera toute sa vie très liée. Elle deviendra sculpteur, et il inaugurera son exposition à New York en juin 1939.

Une famille heureuse:
 

La maison des grands-parents Chartrain, où il naquit, restera pour lui le lieu idéal du bonheur privé. Dans ce beau jardin, chacun occupe une place, comme au théâtre des familles. A gauche la mère de jean Zay, Alice avec sa fille Jacqueline, devant Paul Chartrain, son père. A droite Jean Zay, sur les genoux de son oncle Robert Chartrain. Au troisième plan, Hélène Zay et Marthe Chartrain, ses deux grands-mères.

Depuis 1906, Léon Zay, son père est rédacteur en chef du Progrès du Loiret, qui deviendra la France du Centre en 1927. Secrétaire du Conseil des prud'hommes, cet homme chaleureux, acteur infatigable de la vie politique locale, voue à son fils un amour magnifique.

Léon Zay en permission avec Alice, il reviendra avec la croix de guerre

Léon Zay en permission, avec Alice, Jean et Jacqueline ; après quatre années passées au front, il reviendra avec la Croix de Guerre.

Ses aptitudes littéraires:

Parcours au lycée Pothier:

Boursier, lycéen brillant, Jean Zay est primé en 1922 au Concours Général, en composition française. Il élargit ses amitiés au "Groupe des Jeunes", où il confronte sa culture classique à celle, plus moderne, de ses camarades de l'école primaire supérieure. Leurs joutes oratoires remplissent la salle Hardouineau.

En 1920 Jean Zay fonde l'hebdomadaire "Le potache bouillant"... Absorbé par la littérature, lecteur boulimique, il avoue sa très relative intimité avec les mathématiques et dédie des sonnets à des jeunes filles inconnues. Les lettres et la philosophie le passionnent, il s'essaye constamment à une critique synthétique qui cultive la brièveté.

La classe de seconde du lycée Pothier en 1920

La classe de seconde du Lycée Pothier, en 1920

Le groupe des jeunes:

En avril 1925, les jeunes font paraître avec René Berthelot le premier des dix-huit numéros du "Grenier", revue littéraire d'avant-garde... et de province "de toutes les tentatives et de toutes les audaces", illustrée par Jacqueline Zay. Jean Zay en est le chroniqueur ironique.

Des cendres du "Grenier" et de son amical rival "Les Cahiers Orléanais", naîtra "Le Mail", co-dirigé par Marcel Abraham, futur directeur de cabinet de Jean Zay, et Roger Secrétain... Pour dix-sept numéros.

Jean Zay dira de ses amis Leroy, Beaujard et Secrétain (futur maire d'Orléans) : des amis intelligents et drôles,"éphèbes attendris que l'acné ronge comme un remords" (J.Zay,n° 3, mai 1925).

Bon d'achat

Bon d'achat

Le grenier numéro 4

le grenier
numéro 4

juin 1925

juin 1925

Chronique:

Le 8 mai, tous les ans, une inexorable fatalité précipite sur le pavé d'Orléans des généraux et des archevêques, des gymnastes et des conseillers municipaux pêle-mêle. Etroitement surveillés par une double rangée de soldats en armes, ces malheureux, auxquels tout espoir de fuite est interdit, traînent deux heures durant sur les pavés disjoints leurs uniformes de gala, leurs robes rehaussées d’hermine. Quel prestige résisterait à pareil épreuve ? La foule voit défiler ses maîtres, le crâne jaune de sueur, le col ramolli, les pieds lourds et meurtris : elle goûte des joies primitives, celles-là même du jeu de massacre où les époux trompés et les plaideurs déçus assouvissent d’anciennes rancunes sur la mariée et le juge en carton-pâte.
Par ces jours de cortège traditionnel, tandis qu’Orléans , machinalement pavoisé, regarde passé les députés mélancoliques et des prélats résignés, la calvitie d’un Premier Président ou la démarche en canard d’un général de brigade suffisent à ruiner pour jamais la Majesté de la Justice et celle de l’Armée. (…)

Au service militaire en 1926-1927

Au service militaire en 1926-27 ( 1er à gauche)

Extrait d'une lettre de Jean Zay adressé à sa mère pendant son service militaire :

Mourmelon, vendredi 8 août

11 au jus

Ma "petite maman chérie",

Nous avons té tellement "secoués" hier marches par tous les temps, prises d'armes, exercices de 12 heures consécutives, etc. - que je n'ai pas eu la force d'écrire... Mais j'ai reçu ta lettre pour le 6 août ; mon capitaine m'a souhaité ma fête en me faisant faire une quarantaine de kilomètres avec le sac complet. Enfin ! Il ne reste plus que douze jours...
Le matin, réveil à 5 heures. A 11 heures, je déjeune à la cantine
(...)

Entrée dans la vie professionnelle:

Jean Zay journaliste et avocat:

Jean Zay est en train d'étudier, il est assis, la tête posée sur sa main gauche

Bachelier en 1923, Jean Zay devient aussitôt journaliste au "Progrès du Loiret", et clerc d'avoué pour financer ses études de droit.

Il est initié en 1926 à la loge Etienne Dolet, du Grand Orient, la loge de son père.

Etudiant en droit distrait, Jean Zay n'en devient pas moins un avocat à l'éloquence efficace. Inscrit au barreau d'Orléans en 1928, le jeune avocat s'illustre dans deux procès d'Assises difficiles et plaide au civil. Son cabinet est rapidement un des plus actifs de la ville.

 

Il y a des avocats

II fait acquitter successivement aux Assises en mars 1931 Gruslin, et en juillet 1932 Driard, tous deux assassins de l'amant de leurs femmes. Il plaide de plus en plus comme avocat d'associations professionnelles et syndicales, et maintiendra cette activité d'avocat de la gauche, une fois élu député.

Le mariage

En mars 1931, il épouse au Temple, Madeleine Dreux, d'une famille protestante bien connue d'Orléans.

Jean et Madelaine se connaissent depuis toujours, par le temple. C'est une vie qui commence, sous les meilleurs auspices.

Pour le jeune couple, ce sont neuf ans de bonheur, avant que ne commencent de terribles épreuves. Madelaine sera toujours à ses côtés, une compagne admirable.

Le mariage de Jean Zay

Le mariage

La famille Dreux devant l'entreprise familiale, rue des carmes

La famille Dreux devant l'entreprise familiale,
rue des carmes.

Entrée en politique:

Premiers engagements politiques

Dès le lycée, Jean Zay se passionne pour la politique. En 1928, au retour de son service militaire et à la veille d'une campagne électorale difficile pour les radicaux du Loiret, le jeune homme, adhérent du Parti Radical depuis 1925, ressuscite la section d'Orléans des Jeunesses Laïques et Républicaines. Cette organisation, très à gauche, jeune et ouverte, dont les membres sont socialistes et radicaux, restera pour lui une base militante de prédilection.

Les JLR d'Orléans en 1928

Les JLR d'Orléans en 1928

Jean Zay assis, Allemagne

Encouragé par le député-maire d'Orléans Théophile Chollet, Jean Zay crée donc la section d'Orléans des JLR, avec des amis essentiellement radicaux : André Gimonnet, Jean Pujol, Jean Hémon. Le jeune président multiplie les interventions, les conférences, et les créations de sections dans le Loiret.

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Elu en 1930 vice-président de la Fédération Nationale des JLR, il intervient dans d'autres départements. Pendant l'été 1930, il est délégué des JLR et de la Ligue des Droits de l'Homme, en Allemagne. Au retour, il donne à Orléans une conférence : "Aurons-nous la guerre ?". Union des Gauches et pacifisme sont les deux thèmes de prédilection des JLR.

Un élu local dynamique

La France du centre

La France du Centre,
du 7 mai 1932

Membre du Parti Radical, délégué fédéral de la ligue des Droits de l'Homme, libre-penseur des "Emules d'Etienne Dolet", président des JLR, Jean Zay est élu par le comité radical du 28 décembre 1931 pour être candidat dans la première circonscription, malgré et à cause de son jeune âge.

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Il affronte le député sortant, Maurice Berger, petit industriel soutenu par l'ensemble des droites. Après une campagne très active et très unitaire, plus modérée dans sa profession de foi que dans ses soixante-six réunions publiques, il devance au premier tour les autres candidats socialiste, communiste et anarchiste, et l'emporte au second tour de 484 voix.

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Jean Zay est élu en 1932, à 27 ans, député radical de la première circonscription du Loiret. Il sera réélu en 1936, et deviendra conseiller général du canton d'Orléans Nord-Est à partir de mars 1937. Ambassadeur de sa circonscription, en étroite relation avec les maires, les associations et les syndicats, il reste très présent au Parti Radical et aux JLR. Devenu ministre, il parvient à maintenir son emprise politique locale, qui persistera au-delà de la dislocation du Front Populaire.

La France du centre du 4 mai 1936

La France du Centre,
du 4 mai 1936

Une inoubliable journée républicaine

Le 3 mai 1936, lors des élections législatives, alors que Jean Zay est jeune sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil dans le gouvernement Sarraut, il l'emporte contre le même Berger de 2162 voix, fort d'un large soutien populaire.

Le 18 octobre 1936, la Fédération radicale du Loiret organise un banquet de 2700 convives en l'honneur de Jean Zay, de Pierre Dézarnaulds, député de Gien et sous-secrétaire d'Etat à l'Education Physique, et du Front Populaire... Avec Léon Blum viennent cinq ministres, quatre sous-secrétaires d'Etat, cinq sénateurs et seize députés. C'est l'apogée politique de Jean Zay dans son département.

Jean Zay à la tribune lors du banquet

Jean Zay à la tribune lors du banquet

Élection au Conseil Général

Il est élu, en mars 1937, conseiller général du canton d'Orléans Nord-Est, en remplacement du défunt Louis Gallouedec, radical modéré, maire de Saint-Jean-de-Braye. Il est réélu en octobre 1937 au cours d'une élection difficile, dans un canton qui n'était pas acquis par avance.

Jean Zay accueille Léon Blum devant l'Hôtel de ville d'Orléans

Jean Zay accueille Léon Blum devant l'Hôtel de Ville d'Orléans.

Partis et alliances de gauche

Jean Zay est à la confluence de deux courants minoritaires du Parti Radical trop souvent confondus les "Jeunes Turcs" et les "Jeunes Radicaux".

D'abord pacifiste, favorable à une modernisation de l'Etat, à la naissance d'une démocratie économique, il est proche des "Jeunes Turcs". Anti-nazi précoce et inquiet, député populaire hostile à la déflation, Jean Zay refuse avec constance l'alliance à droite, plaide avec passion pour un retour à l'inspiration politique du radicalisme et l'Union des Gauches au gouvernement : un "Jeune Radical", c'est-à-dire un radical à gauche, partisan et artisan du Front Populaire.

Le parti radical

Le Parti Radical, grand parti de gouvernement, attache les classes moyennes à la tradition de la Révolution Française. Défenseur des "petits", il est traditionnellement allié aux socialistes. La crise du Parti Radical se déclare dès qu'Herriot, président du Parti Radical, accepte de participer au gouvernement d'Union Nationale de Poincaré, en 1926. A partir d'octobre 1927, Daladier restructure le Parti. Il s'appuie volontiers sur les "Jeunes Turcs", mais partage en fait le pouvoir avec la vieille garde. Au Congrès de 1931, Herriot retrouve la présidence du Parti, écarte l'Union des Gauches pour les élections de 1932. La rénovation a fait long feu.

L'union des gauches

De 1932 à 1936, ils sont quelques-uns à plaider inlassablement pour l'Union des Gauches, seule réponse politique à la menace des ligues fascistes. Jacques Kayser, leur porte-parole, dénonce la dérive opportuniste du Parti Radical. Jean Zay s'impose comme leur tête politique parmi les parlementaires. Avec eux, Pierre Cot, Pierre Mendès France, Gaston Monnerville, Léon Martinaud-Déplat. Ils se réunissent régulièrement chez Raymond Lindon, maire d'Etretat.

Une brillante carrière

Le serment du Front Populaire

Le serment du Front Populaire.

Jean Zay, après avoir pris rapidement le contrôle politique de son département, s'affirme à la Chambre comme un député actif, puis comme un orateur de premier plan, membre redouté de la Commission d'enquête parlementaire sur l'affaire Stavisky.

Au Parti Radical, il incarne, dès le Congrès de Vichy en 1933, la stratégie d'Union des Gauches qui triomphera dans le Front Populaire : il est logiquement rapporteur de politique générale au Congrès de Wagram, en 1935. Cacique du Parti, Jean Zay devient sous-secrétaire d'Etat à la présidence du conseil dans le gouvernement de transition constitué par Albert Sarraut, le 24 janvier 1936.

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Jean Zay s'affirme de congrès en congrès comme le porte-parole de la gauche du Parti Radical. C'est à Vichy qu'il devient célèbre en 1933, lorsqu'il salue le gouvernement Daladier comme un premier pas vers l'Union des Gauches, et par là, l'engage devant le "peuple radical". Après le 6 février 1934, au congrès extraordinaire de Clermont-Ferrand, les "Jeunes Radicaux" menacent d'une scission et appellent à une alliance à gauche. A Nantes, en octobre 1934, Jean Zay condamne la trêve avec la droite. Enfin, à Paris, au congrès de Wagram, en octobre 1935, il incarne le Front Populaire.

Jean Zay arrivant à la chambre des députés

Jean Zay, arrivant à la chambre
des députés.

Extrait de "L'homme du jour", 6 février 1936:

Jean Zay est le premier représentant authentique des jeunes équipes au sein des Conseils de la République. Il appartient à cette génération réaliste qui consent à aborder le Forum dans les cadres des vieilles formations, mais n'accorde à la loi et aux prophètes, le minimum de révérence, ne vas pas chercher ses disciplines dans les motions des conciles défunts et ne résout point les problèmes par des formules. ressentant profondément sa solidarité qui, sans souci de leurs étiquettes, lie les hommes nouveaux et les rassemble d'instinct dans une oeuvre commune, il rejoint ainsi le vieil idéal radical qui rêvait de faire de la République une grande amitié et ne connaissait d'autres ennemis que les ennemis de la liberté : idéal qui anime aujourd'hui le Front populaire, dont Jean Zay est un des hérauts au sein de son parti.

Jean Zay dans le journal

Le Front Populaire

Le 14 juillet 1935, au vélodrome Buffalo de Montrouge, huit mille délégués des provinces prêtent serment. L'après-midi, avec tous les dirigeants de la gauche, Jean Zay participe au monumental défilé de la Bastille à la Nation (500 000 personnes).

Jean Zay, artisan du Front Populaire, demande au Comité exécutif radical du 19 Janvier 1936 une condamnation du gouvernement Laval, qui mène une politique très impopulaire de réduction des revenus pour lutter contre la crise. Les ministres radicaux, en démissionnant, font tomber le gouvernement. Dans le ministère Sarraut, Jean Zay devient sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil.

Jean Zay et son cabinet

Jean Zay et son cabinet (gouvernement Sarrault) 24 janvier-4 juin 1936

Un ministre novateur et éducateur:

Le grand ministère

Le gouvernement Blum

Le gouvernement Blum

Le gouvernement Blum.

Le 4 juin 1936, Léon Blum nomme Jean Zay ministre de l' Education nationale et des Beaux-arts du premier gouvernement de Front Populaire. A trente et un ans, il est le plus jeune ministre de toute la Troisième République. La nomination de Jean Zay est pleine d'audace et d'intelligence : un pari sur la jeunesse et sur la compétence politique, que Blum oppose volontiers à la spécialité technicienne.

Le ministère de Jean Zay va être décisif dans l'histoire des politiques éducatives et culturelles. Il bat, avec trente neuf mois consécutifs, sous cinq gouvernements, le record absolu à ce poste sous la troisième République. Il s'entoure d'une équipe très à gauche, jeune ... et souvent orléanaise !

Outre ce qui saute aux yeux : la reconnaissance des capacités et des options politiques de Jean Zay, le choix de Léon Blum s'explique aussi par sa jeunesse et son appartenance au courant radical de gauche qui se veut "l'âme de la République", d'une République fondée sur l'école.

Un grand ministère de la vie culturelle

Nommé à un ministère de l'Education Nationale et des Beaux-arts encore classique, très scolaire, bien que déjà doté du tout nouveau sous-secrétariat d'Etat à la Recherche Scientifique, Jean Zay récupère en janvier 1938, en les unifiant, les deux sous-secrétariats d'Etat à l'Education Physique et aux Loisirs et Sports. Il pousse à son terme la réflexion sur un projet de grand "ministère de la vie culturelle", dont il dessine lui-même le schéma précis, comportant un second secrétariat d'Etat très nouveau, le secrétariat d'Etat à l'Expression Nationale.

Jean Zay sait s'entourer d'hommes compétents. Son directeur de cabinet, Marcel Abraham, ancien professeur au Lycée d'Orléans, a déjà occupé ces fonctions auprès d'Anatole de Monzie, au même ministère, de juin 1932 à janvier 1934, et connaît parfaitement les dossiers.

Jean Cassou, historien d'art, romancier, poète, et membre précoce du Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes, est chargé de mission pour les dossiers artistiques.

Georges Huisman, directeur des Beaux-arts depuis 1934, donne une impulsion volontariste et moderniste à la politique artistique de l'Etat.

La France du centre, du 6 juin 1936

La France du Centre, du 6 juin 1936.

Vers la réforme

Le 5 mars 1937, Jean Zay dépose à la Chambre un projet de loi scolaire. Devant l'augmentation rapide des effectifs du second degré, gratuit depuis 1930, les termes de la problématique changent : il ne suffit pas de garantir l'accès de tous les enfants à l'école, il faut leur donner les moyens de réussir. Le projet Jean Zay est inspiré par quelques grandes idées directrices : la démocratisation, l'orientation, selon les goûts et les aptitudes des élèves, éveillés par une pédagogie novatrice. Ce système éducatif profondément rénové devra s'intégrer dans un ensemble englobant de multiples activités périscolaires.

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Jean Zay définit lui-même son projet. L'orientation introduit la rationalité et la justice au sein de la complexité sociale. Elle s'appuie sur le Bureau Universitaire de Statistique (BUS) créé par d'Alfred Rosier, en 1932, dont les représentants, les "orienteurs professionnels" participent aux Conseils de classe rénovés (mai 1937). Un réseau départemental de Centres d'orientation ouvre rapidement (mai 1938). La sixième d'orientation, charnière entre les deux degrés, est expérimentée dès 1937.

Jean Zay, ministre de l'Education nationale en 1936

Ministre de l'Education nationale, 1936.

La réforme de l'Enseignement

L'essai remarquable de Pierre Uri, jeune socialiste, normalien et agrégé de philosophie, paru en 1937, témoigne de l'ambition réformatrice des années trente. Le système scolaire reste alors très éclaté : maintien de classes élémentaires payantes dans les lycées, dont les programmes et les horaires sont différents de ceux du primaire, âge d'entrée en sixième (onze ans) incompatible avec l'âge minimal du Certificat d'études (douze ans). Les voies de formation sont séparées et étanches : lycées, écoles primaires supérieures, enseignement technique.

Feuillets manuscrits de Jean Zay sur le projet de réforme de l'enseignement.

Transformer l'école:

Une adhésion difficile

Le projet de réforme de Jean Zay est bloqué par de nombreuses oppositions. La droite dénonce un "danger autoritaire" et entend "protéger les droits du père de famille et les disciplines gréco-latines contre l'école unique totalitaire et athée". A gauche, le Syndicat National des Instituteurs craint une absorption du Primaire Supérieur par le Secondaire. A la Chambre, la commission parlementaire enterre la réforme. C'est l'enlisement. Jean Zay procède habilement par l'expérimentation et par la voie réglementaire. Profondément, la mutation a eu lieu.

Feuillet manuscrit de Jean Zay
sur les réformes à engager.

Réformes nouvelles

Jean Zay favorise des moyens pédagogiques nouveaux : le cinéma éducateur, la radio scolaire sans équivalent dans le monde.

Jean Zay prolonge jusqu'à quatorze ans l'obligation scolaire et dédouble les classes au-delà de trente-cinq élèves (octobre 1936), ce qui permet la création de postes dans le primaire (5241 en 1936) et dans le secondaire (2252 chaires créées en 1936-1937). Sa politique d'équipement scolaire, dans le cadre des Grands Travaux, est exemplaire. L'Etat multiplie par cinq et rationalise ses dotations qui financent pour la première fois l'ensemble de l'équipement pédagogique.

De nouvelles instructions pour une pédagogie active

Dans sa circulaire aux recteurs du 9 octobre 1936, pour lutter contre le surmenage, Jean Zay recommande de mieux répartir le travail à la maison, d'étaler les compositions ; il récuse les méthodes pédagogiques absurdes comme le recopiage. Les Instructions de 1938, saluées par Celestin Freinet pour leur modernité, allègent et refondent les programmes de toutes les matières et remplacent la méthode d'autorité par la méthode active. Elles introduisent les activités dirigées du samedi après-midi.

Jean Zay assiste au départ de la première colonie de vacances du Loiret, aux Sables d'Olonnes, en juillet 1936.

L'éducation physique

La scolarisation de l'Education Physique, jusqu'alors très militaire, est aussi une réponse des démocraties aux régimes totalitaires. Le projet de loi qui rend obligatoire l'éducation physique de 6 à 16 ans (juin-juillet 1937), dans et hors de l'école, piétine à l'Assemblée.

En attendant, Jean Zay expérimente "l'heure quotidienne" de sport dans le Loiret, l'Aude, la Meurthe-et-Moselle, dès la rentrée de 1936: en fait, une demi-heure par jour et la fameuse demi-journée de "plein air". L'expérience est élargie à 29 départements en 1937, et à 40 en 1938. Le couronnement de cette politique est l'institution du Brevet sportif populaire (mars 1937), initiative partagée avec Léo Lagrange, sous-secrétaire d'Etat aux Loisirs et Sports : 450 000 candidats dès la première saison, un énorme succès.

Démocratiser, moderniser:

Jean Zay marque de son empreinte tous les autres registres de la politique éducative et culturelle. Partout il approfondit la démocratie et modernise la république : une réponse républicaine aux défis fascistes.

Jean Zay au restaurant universitaire

Les bourses d'étude

Dans l'enseignement supérieur le ministre démocratise l'accès aux bourses. Le montant de celles-ci est multiplié par deux dès 1936, et leur volume total par deux et demi. La création du Comité Supérieur des Oeuvres Sociales en faveur des étudiants, ancêtre des CROUS, est confiée à Alfred Rosier (juillet 1936).

Jean Zay et Irène Joliot-Curie

L'Ecole Nationale d'Administration (ENA)

"Quel enfant du peuple a jamais pu être ambassadeur ?" Le projet d'une ENA appartient au programme du Front Populaire : c'est en effet à l'Etat de contrôler la formation des hauts fonctionnaires qui vont le servir, et de garantir à tous l'égalité d'accès aux carrières publiques. Déposant le projet de loi, Jean Zay s'attaque au monopole de l'Ecole libre des Sciences Politiques (privée), et rencontre de vives résistances. Il engage alors une longue négociation. Le projet de loi, voté en 1938 par la Chambre, est bloqué au Sénat.

Politique scientifique pour favoriser la recherche

Jean Zay porte le projet de Jean Perrin (prix Nobel 1926), qui remplace en septembre 1936 Irène Joliot-Curie (prix Nobel 1935) comme sous-secrétaire d'Etat à la Recherche. Cette politique scientifique comporte trois volets augmentation des dotations de la recherche (arrachées par Jean Zay au Sénat, elles passent de 15 millions en 1936 à 35 millions en 1939), définition d'un statut des chercheurs, fusion des structures de recherche dans le CNRS créé par les décrets d'octobre 1939, "organisme permanent chargé d'encourager, aider et orienter les chercheurs". Jean Zay et Jean Perrin décident de pérenniser l'existence du Palais de la Découverte, cette "Cathédrale des Temps Nouveaux", construit pour l'Exposition Internationale de 1937.

Etude des méthodes pédagogiques étrangères

De 1937 à 1939, Jean Zay se rend en Autriche, Yougoslavie et Angleterre, en URSS et aux Pays-Bas, plus longuement en Grèce, en Egypte et aux Etats-Unis. Il conforte les établissements d'enseignement et de recherche français à l'étranger, tout particulièrement les missions archéologiques de Grèce et d'Egypte. Il se montre partout curieux des méthodes pédagogiques étrangères.

Les Beaux-arts:

La politique culturelle de Jean Zay tend à combler le fossé qui tient le peuple éloigné de l'art, en même temps que les congés payés et la semaine de 40 heures libèrent du temps pour les loisirs. Il faut ouvrir les musées et les théâtres, réduire les tarifs, ce qui est fait, avec succès. Mais il faut aussi moderniser les structures, rénover la production, soutenir les créateurs.

La musique

Le peuple a le même droit à la musique. Darius Milhaud bénéficie des nombreuses commandes publiques du ministère, il participe aux trois grandes dramaturgies collectives du Front Populaire: "14 juillet"(1936), "Liberté"(mai 1937) et "Naissance d'une cité" (octobre 1937).

Nommé à l'Opéra Comique, il contribue au passage du régime du mécénat privé à celui de la maîtrise publique, qui aboutit à la création de la Réunion des Théâtres Lyriques Nationaux, par la loi du 14 janvier 1939.

La peinture

Les bons d'achat. Une audace mesurée : Dufy, Vlaminck et Marquet, pour la première fois Brayer, Fujita ou Kandinsky, mais ni Picasso ni Lipchitz. Jean Zay modernise le système des commandes publiques, l'enseignement aux Beaux-arts et aux Arts Décoratifs, l'attribution des Prix de Rome. Il nomme le musicien Jacques Ibert à la tête de la Villa Médicis.

Le musée, comme l'école, doit être un instrument d'intégration sociale. L'Etat crée le Musée des Monuments Français et le Musée des Arts et Traditions Populaires. René Huyghe invente la muséographie lors de l'exposition Van Gogh de 1937, première grande exposition moderne. Jean Zay le nomme aussitôt à la tête du nouveau département de peinture du Louvre.

Le cinéma

Lettre de Jean Cocteau

Bon d'achat

Pour désamorcer la crise du cinéma, Jean Zay annonce un statut. Mais l'ambitieux projet de loi du 17 mars 1939 ne sera jamais discuté. Reprenant l'idée d'une école nationale, il soutient la naissance, le 2 septembre 1936, de la Cinémathèque Française de Langlois et Franju. Le ministre des Beaux-arts crée les Grands Prix Nationaux, élargis à la production documentaire. Enfin, comme la Mostra de Venise rend des verdicts de plus en plus fascistes, Jean Zay décide, en 1938, la création d'un grand festival international à Cannes. Le premier aurait dû avoir lieu du 3 au 20 septembre 1939 !

La lecture, les auteurs

En ce qui concerne la politique de la lecture et des auteurs, les initiatives de Jean Zay répondent à un double souci : d'une part défendre les droits de l'écrivain, "travailleur intellectuel", type social nouveau, fragile puisque sans statut, menacé par des pratiques abusives, d'autre part démocratiser l'accès au livre et développer la lecture publique.

Lettre de Delteil

Le droit d'auteur

Jean Zay, ami avec un certain nombre d'écrivain s'attache à défendre leurs droits. Ainsi dès le 13 août 1936, Jean Zay dépose un projet de loi sur le droit d'auteur et le contrat d'édition, "véritable statut de la création intellectuelle et artistique en France". Pour la première fois, un texte de loi reconnaît que l'auteur ne vend pas une "marchandise", mais conserve un droit moral sur son oeuvre.

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Le contrat d'édition est réglementé et désormais limité à dix ans. Les cinq sociétés de gens de lettres se regroupent en une Fédération pour soutenir le projet, violemment dénigré par les éditeurs, Gaston Gallimard et Albin Michel, derrière Bernard Grasset.

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Le débat à l'Assemblée est sans cesse retardé. Le ministre n'obtient une première discussion que les 1 et 2 juin 1939, derniers jours de la session.

la lecture publique

Pour développer la lecture publique, Jean Zay s'appuie sur Julien Cain, administrateur de la Bibliothèque Nationale. Les bibliothèques bénévoles sont en déclin mais un solide mouvement réformateur aboutit, en 1936, à la fondation de l'Association pour le Développement de la Lecture Publique. Celle-ci rassemble bibliothécaires, écrivains et éditeurs et élabore un plan d'ensemble.

Jean Zay inscrit les bibliothèques aux "Grands Travaux" pour deux millions de francs et organise des dons massifs de livres français aux bibliothèques des universités étrangères. L'ADLP lance, en 1937, un bibliobus prototype dans l'Aisne puis dans la Marne : 8000 volumes, mais aussi un phonographe, une radio et un projecteur cinématographique.

Jean Zay et Romain Rolland

Leçon inaugurale de Paul Valéry au Collège de France en 1937. A gauche de Jean Zay, Duhamel et Huisman.

Ses jeunes années
Entrée en politique
Un ministre novateur et éducateur

Prisonnier politique et victime:

Les ennemis de la République contre Jean Zay:

La carrière de Jean Zay avait été brillante. Cette carrière n'offrait guère de prise à la critique. Le ministre avait été unanimement apprécié. L'homme politique avait mis sa conduite en accord avec ses opinions : partisan de la fermeté envers Hitler, il avait fait toute la guerre comme sous-lieutenant adjoint au colonel commandant le train de la IVe armée. Il résumait cependant tout ce que la droite vichyssoise détestait. Juif par son père, protestant par sa mère, ouvertement franc-maçon, il témoignait de la capacité de la Ille République à produire un personnel politique compétent et responsable.

Il n'avait été compromis dans aucun scandale et ne devait son succès à aucun marchandage politicien ; on ne pouvait le traiter ni par la condescendance comme les médiocres ou les indécis, ni par le mépris comme les lâches ou les affairistes. On lui voua donc une haine froide, ainsi qu'à Mandel, et pour les mêmes raisons. Blum, Reynaud, Daladier, emmenés en Allemagne, survécurent à l'occupation. Mandel et Jean Zay furent assassinés. Ce sont les seuls hommes politiques à qui Vichy ait fait payer de leur vie d'avoir incarné la tradition républicaine et la résistance à Hitler.

28 mars 1933 : inspection des installations de défense aérienne du Loiret par le Maréchal Pétain suivi de Jean Zay au second plan.

Adversaire des ligues d'extrême droite

Jean Zay est l'un des adversaires les plus résolus des Ligues d'extrême droite. Artisan du Front Populaire, que la droite dénonce comme une "colonisation juive", partisan du soutien à l'Espagne républicaine, il est bientôt accusé de pousser à la guerre par hostilité au régime hitlérien. La droite puise volontiers dans les arguments de l'extrême droite.

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Le 28 mars 1933, Jean Zay rencontre le Maréchal Pétain, venu inspecter les installations de défense aérienne du Loiret. Le Préfet Jozon a invité Jean Zay à sa conférence : le Maréchal s'étonne de la présence du jeune député, qui quitte la salle et qui menace d'une interpellation à la chambre. Les excuses sont embarrassées. Un affrontement prémonitoire.

Antisémitisme

La haine antisémite se polarise sur "le Drapeau", un pastiche antimilitariste à la manière de Gustave Hervé, écrit par jeu à dix-neuf ans. Ce texte est communiqué à la presse locale d'extrême-droite, et utilisé comme un argument électoral dès 1932, censé prouver l'appartenance de Jean Zay à "l'anti-France". II est publié en 1934 par la grande presse antisémite nationale (Candide, Gringoire Je Suis Partout, l'Action Française après 1936), et ressurgira à chaque étape de la carrière de Jean Zay.

L'affaire du Massilia:

Déclaration de guerre

Le 2 septembre 1939, la guerre est déclarée. Jean Zay, membre du gouvernement, n'est pas mobilisable. Il donne toutefois sa démission pour s'engager : "... Agé de 35 ans, je désire partager le sort de cette jeunesse française pour laquelle j'ai travaillé de mon mieux au gouvernement, depuis 40 mois ; Je demande donc à suivre le sort normal de ma classe", écrit-il au président du Conseil.

Le 19 juin 1940, au cours du repli de la IVe Armée sur Saint-Flour, il apprend que les parlementaires sont convoqués à Bordeaux. Hostile à l'armistice demandé depuis 48 heures par Pétain, Jean Zay veut continuer la guerre en Afrique du Nord. Le 20 juin, avec 27 parlementaires, il s'embarque sur le Massilia, pour rejoindre les pouvoirs publics qui doivent se replier sur Alger.

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Le 18 juin, devant la rapidité de l'avance allemande, le gouvernement Pétain, installé depuis le 16 juin, décide son transfert, et celui des parlementaires, en Afrique du Nord. Les plus farouches adversaires de l'armistice embarquent le 20 juin à bord du Massilia : Campinchi, Daladier, Mandel, Mendès France, Zay, ... Mais le gouvernement, sous la pression de Pierre Laval, renonce à partir. Il transforme alors en "fuyards" et "déserteurs" les passagers du Massilia, dont il empêche le retour, et qu'il jette en pâture à la presse. Ils sont retenus au Maroc pour ne pas gêner la mise à mort de la République, le 10 juillet, à Vichy, lors du vote des pleins pouvoirs à Pétain. Le piège s'est refermé.

Le Massilia

Procès et condamnation de Jean Zay

Pierre Mendès France

A Rabat, le 24 juillet, les quatre députés mobilisés du Massilia apprennent par la radio qu'ils sont inculpés d'abandon de poste et de désertion. Jean Zay est la cible principale ; premier interpellé, le 16 août, il est transféré à Clermont-Ferrand. Pendant l'instruction, bâclée en moins de 5 semaines, la presse aux ordres de Vichy se déchaîne : "Pour nous et nos camarades, le jugement est fait d'avance. Nous attendons le châtiment. Mais nous tenons à dire que, si le tribunal manquait à ses devoirs, il y a dans ce pays assez de becs de gaz et de cordes pour faire justice nous-mêmes". (Vie Nationale , 31.8.1940)

Jugé par le même conseil de guerre qui condamnera à mort de Gaulle et Leclerc, Jean Zay, après un simulacre de procès, est condamné le 4 octobre 1940, à la déportation et à la dégradation militaire : la peine de Dreyfus, jamais prononcée depuis. Il se refuse à tout recours en grâce.

Pour les trois autres inculpés, les peines suivent une étrange gradation. Mendès France, juif, secrétaire d'Etat du Front Populaire, est condamné, le 9 mai 1941, à six ans de prison ferme. Viénot, ancien Sous-secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères de Blum, mais d'une vieille famille catholique de droite, est condamné à huit ans avec sursis. Wiltzer, simple député modéré et catholique, bénéficie d'un non-lieu.

En prison:

Jean Zay prisonnier politique

La condamnation prononcée par les juges militaires de Clermont-Ferrand, plus symbolique qu'applicable, se mue en un emprisonnement qui durera 4 ans. A la prison militaire de Clermont-Ferrand, où il reste quatre mois, Jean Zay est voisin de cellule de son ami Pierre Mendès France.

Il est transféré au Fort Saint-Nicolas, prison militaire de Marseille, dans une cellule étroite et glacée : placé au secret, sans lit, sans lumière et sans feu, il tombe malade.

Le 7 janvier 1941, il est transféré à la Maison d'Arrêt de Riom, où il obtient le statut de prisonnier politique : il peut recevoir la visite de sa famille, et, avec autorisation spéciale, de ses amis, il peut lire des journaux et des livres. Ce régime sera durci à plusieurs reprises, en particulier en septembre 1943, après l'évasion du général de Lattre, puis en avril 1944.

Chaque jour, Madeleine et ses filles, le plus souvent accompagnées de Léon Zay, traversent Riom. Un parc est installé pour Hélène, dans la petite cour, sous les deux saules que Jean Zay a plantés. Les visiteurs les plus assidus sont Marcel Abraham, Jacques Kayser, Philippe Serre et Gaston Monnerville. Le détenu fait passer à la Résistance des comptes-rendus du procès de Riom, rédigés d'après les sténographies des interrogatoires.

Jean Zay et ses filles,
à la prison de Riom.

Résistance

Jean Zay écrit à Jacques Kayser pendant le procès de Riom, le 8 avril 1942, une lettre en termes codés où il révèle son rôle dans la transmission des comptes-rendus des audiences (Léon Blum est surnommé "le Bourbon" pour la presse de la Résistance, Paul est Jean Zay, Dominique est Daladier).

La décision du gouvernement de Vichy
 

Vichy, 13 juin. Les ministres et secrétaires d’État se sont réunis en conseil cet après-midi à 17 heures à l'Hôtel du Parc, sous la présidence du Maréchal Pétain.

Sur la proposition du garde des Sceaux, le Conseil a prononcé la déchéance des mandats législatifs de M. Jean Zay, Pierre Viénot, et Paul Antier, ainsi que la déchéance de la nationalité françe d'un certain nombre de personnalités qui ont quitté le territoire métropolitain, entre le 10 mai et le 30 juin 1940, ou de personnes visées par la loi réprimant les menées gaullistes.

Publication de la décision du Conseil des Ministres sur la déchéance du mandat législatif de Jean Zay.

Les "Carnets secrets de Jean Zay"

Des notes prises par Jean Zay au Conseil des Ministres de septembre 1938 à septembre 1939, volées à son domicile, sont publiées en 1941 par Philippe Henriot dans "Gringoire" et "Je Suis Partout", tronquées et accompagnées de commentaires haineux. Henriot les rassemble en 1942 dans un ouvrage, "Les carnets secrets de Jean Zay". Cette publication fait partie du procès intenté par Vichy aux "bellicistes", rendus responsables de la guerre (donc de la défaite), une revanche sur le Front Populaire, après le procès des "déserteurs"à Clermont-Ferrand.

Les carnets secrets de Jean Zay par Philippe Henriot.

Extrait de la préface:

Les notes qu’on va lire n’enrichiront pas la littérature française d’aucune contribution appréciable. Mais leur publication présente pour l’historien un intérêt documentaire de premier ordre. Leur auteur après avoir été pendant trois ans l’inamovible ministre de l’Education nationale du Front populaire, a tristement achevé sa carrière ambitieuse sans gloire devant un conseil de guerre. Il n’y aurait qu’à lui souhaiter l’oubli si des personnages comme lui n’étaient représentatifs d’une époque et d’un monde qu’ils aident, hélas ! à comprendre et à juger.
A une des heures décisives de notre vie nationale, ce petit Juif se trouvait lancé dans la politique par l’aberration du suffrage universel. Il avait débuté dans sa vie en s’essayant à salir le drapeau du pays qui l’avait accueilli. Ces références avaient alors leur prix. D’autant que, que en tête de son infâme pamphlet, l’auteur avait annoncé qu’il songeait à écrire un livre qu’il intitulerait Les Respects. On avait un avant-goût de ce qu’en serait les chapitres. Il ne fallait laisser inemployé un démolisseur de ce cynisme et de cette trempe. Il fut donc un des jeunes députés de France, puis un des plus jeunes ministres. Il faut rendre cette justice à Israël qu’on y pratique la courte échelle d’une façon qui laisse loin derrière les méthodes enfantines des "Aryens".
Ministre, on lui confie la jeunesse. Bonne affaire ! Par la jeunesse, on touche à la famille, cette autre force réactionnaire dont son coreligionnaire Blum s’est déjà occupé… Zay se met d’arrache-pied à l’ouvrage. Mais d’autres préoccupations s’ajoutent à celles de son département : la guerre rôde. Dés qu’il en flaire l’approche, il ne se tient plus de fièvre et commence à noter au jour le jour, ses impressions et ses observations. Par elles, nous pénétrons dans les coulisses où se préparait le drame. Ceux qui croit encore que la France à été jeté dans cette sombre aventure par un sursaut spontané de son patriotisme n’auront qu’à parcourir ces pages pour constater que ce patriotisme a simplement servi de paravent à des hommes qui, pour des fins politiques ou raciales, voulaient la guerre, (…)

En prison : renouement avec l'écriture:

Entre révolte et impuissance

Outre l'injustice de sa condamnation et de sa situation qui le révolte, un sentiment d'impuissance hante le détenu, coupé du monde : "il semble qu'on vous vole un morceau de votre vie, une partie même de votre être , qu'on vous a diminué et rendu infirme, en vous dérobant votre libre arbitre. Vous êtes (...) devenu une chose qu'on manipule, un objet sans défense que des mains indifférentes et vulgaires repoussent dans un coin avec mépris. Véritable supplice que le sentiment d'une totale impuissance...Souvenirs et Solitude.

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L'expérience carcérale, douloureuse, devient objet de méditation, nourrie de nombreuses lectures, qui la transforment en occasion de retour sur soi-même, que Jean Zay s'impose de saisir.

Au cours de ce voyage au bout de lui-même, "à la conquête de sa liberté intérieure", se dégage une véritable sérénité de l'individu irréductible.

Jean Zay relève dans des cahiers les titres des ouvrages qu'il lit, comme au temps du lycée. Cinq cents livres en un an et demi, commandés à la bibliothèque. Il transcrit des citations dans d'autres cahiers : Napoléon et Apollinaire, Diderot et Saint-Paul. C'est un plaisir retrouvé.

A l'angle du chemin de ronde,
Un œil blanc veille sur ma nuit,
lampe étrange d'un autre monde,
Froide flammèche de l'ennui,

De son inutile lumière
Je la crois honteuse, et pourtant,
Sous son, immobile prière,
S'enfuit le pas léger du temps.

Le grand mur gris cabossé d'ombres
Étend vers elle ses sueurs
et de son immensité sombre
Écrase la frêle lueur.

Jamais un passant sous la lampe,
Jamais un enfant, un regard,
La peur passe ici seul et rampe
Devant le lumignon hagard,

Mais surmontant les épouvantes,
Faible cœur saignât chaque soir,
La clarté frêle et palpitante
Crispe son éternel espoir

 

22 août 1940

L'assassinat:

Transfert de Jean Zay : le rôle de la milice

Le 20 juin 1944, trois miliciens venus de Vichy sous l'autorité de Maret, Cordier, Develle et Millou, chef du service de la sécurité à Vichy, viennent enlever Jean Zay de la prison de Riom. Ils sont munis d'un ordre de transfert à Melun signé par Baillet, directeur de l'administration pénitentiaire, également milicien, accompagné d'instructions de Clémoz, chef de cabinet de Darnand.

Exécution sommaire

Ordre de transfert

Se faisant passer pour des résistants, les miliciens conduisent Jean Zay, en voiture, dans les bois de Cusset, près de Vichy. Ils le font descendre de voiture. L'un d'eux le matraque, puis Develle l'abat, d'une rafale de mitraillette. Les assassins dépouillent le corps de ses vêtements, lui arrachent son alliance, le jettent dans un ravin, "le Puits du Diable", qu'ils plastiquent pour empêcher toute identification.

Deux chasseurs le découvrent, par hasard, le 22 septembre 1946. Ce sont des restes sans identité qui sont enterrés anonymement à Cusset.

19 juin 1944

Mon cher petit amour bien aimé,

Voici la dernière étape, celle qui sera brève
et au bout de laquelle nous nous retrouverons unis
et tranquilles dans notre bonheur, avec nos filles.
Elle était inévitable ; il faut la supporter avec
courage et confiance, avec une certitude entière
et une patience inébranlable. Ainsi je ferai,
même loin de toi, même sans nouvelles. Chacun de nous
restera plus près que jamais de la pensée de l’autre
et lui inspirera à distance toute sa force. Je
te confie mes filles et sais comment tu les gar-
- deras ; je te confie papa, dis-lui surtout de
n'avoir aucune inquiétude d’aucune sorte ; tu
le rassureras pleinement, ainsi que Jacqueline.
Je pars plein de bonne humeur et de force.
Je n’ai jamais été si sûr de mon destin et
de ma route. J’ai le cœur et la conscience
tranquilles. Je n’ai aucune peur. J’attendrai
comme je le dois, dans la paix de ma pensée,
l’heure de vous retrouver tous.

A bientôt,
Jean Zay

Jugements et postérité:

Madelaine Zay avec son avocat

Jusqu'en 1948, en dépit des recherches entreprises, aucune trace de Jean Zay n'est retrouvée, et le mystère de sa disparition persiste.

Le 5 avril 1948, Develle, un des miliciens assassins, qui avait cherché refuge en Allemagne, puis dans un couvent italien, est arrêté au moment où il tente de débarquer en Amérique du Sud. Il avoue le crime et en révèle les circonstances.

Il ne sera jugé qu'en février 1953 par le Tribunal Militaire Permanent de Lyon. Il est seul dans le prétoire. Cordier a été abattu par des résistants, Millou est en fuite, Maret tient un salon de thé à Buenos-Aires.

Maître Floriot, son défenseur, plaide l'irresponsabilité : Develle aurait agi sous l'influence des attaques haineuses d'Henriot et des idéologues de l'antisémitisme. Alors que la peine de mort est requise, le Tribunal lui accorde les circonstances atténuantes, et le condamne aux travaux forcés à perpétuité.

Intervention de Madelaine Zay au procès Pétain

Lors du Procès Pétain en 1945, Madeleine Zay, ne pouvant se porter partie civile, demande à être entendue comme témoin, pour que soit reconnue la responsabilité de celui qui, en maintenant Jean Zay en prison, l'avait livré à la Milice. Le Président Mongibeaux refuse. Elle écrit alors une lettre qu'elle lui demande de lire en audience. Nouveau refus : "Rendant la justice et voulant conserver notre sérénité, nous ne pouvons pas nous laisser impressionner par des crisde vengeance, si compréhensibles soient-ils", déclare le Président.

Indulgence du jury et des magistrats

L'indulgence du jury suscite incompréhension et indignation. Develle, un homme sous influence des idéologues de l'antisémitisme et de la collaboration ?

Mais en 1948, lors d'un procès intenté par Madeleine Zay à "Gringoire" et "Je suis partout", journaux où s'étaient exprimés ces mêmes idéologues, les magistrats écartent le troisième chef d'accusation, celui de "provocation au meurtre". Ni Pétain, ni Henriot, ni Develle ? La responsabilité du meurtre est sans cesse déplacée et diluée.


 

Préfecture d'Orléans - retour de la

dépouille de Jean Zay le 14 mai 1948.

Hommage de la municipalité d'Orléans

Pierre Chevalier, maire, le docteur Falaize, 1er maire adjoint

Réhabilitation et postérité
 

Le 22 juin 1945, l'Assemblée Consultative Provisoire rend hommage à Jean Zay disparu, avant même son jugement de réhabilitation (5 juillet 1945). Il est cité à l'Ordre de la Nation le 11 avril 1946.

L'Université lui rend un hommage solennel en présence des Présidents de la République et du Conseil, à la Sorbonne (27 juin 1947), avant une cérémonie nationale le 14 mai 1948, à l'occasion de ses funérailles. Il est enterré à Orléans le 15 mai 1948.

Chaque année, une commémoration a lieu au cimetière d'Orléans et à la Sorbonne, à Paris, sous l'égide de l'Association des Amis de Jean Zay.

L'hommage national rendu en 1994 illustre la capacité de la société française à penser ce crime avec plus de sérénité, à en désigner sans ambiguïté les coupables, à se recueillir autour de la victime. Il souligne aussi l'importance et la qualité de l'œuvre ministérielle de Jean Zay, véritable matrice des politiques éducatives et culturelles ultérieures.

Prisonnier politique et victime
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